Vous avez sûrement un ou deux abonnements que vous payez chaque mois sans trop y penser. Une appli de sport que vous n’ouvrez plus. Une plateforme de streaming que vous n’avez pas visitée depuis Noël. Un service de cloud dont vous ne vous souvenez plus exactement pourquoi vous l’avez activé. Et pourtant, vous continuez de payer.
Ce n’est pas un oubli. Ce n’est pas un bug. C’est un modèle. On appelle ça la fidélisation zombie. Vous ne lisez plus la newsletter, vous n’ouvrez plus l’application, mais vous restez là, bien sagement prélevé tous les mois. Sans engagement actif, sans usage réel. Et c’est précisément ce que certaines entreprises cherchent à provoquer.
4,99 €, 9,99 €, 14,99 €… Ce sont des sommes calculées pour ne pas faire mal. Elles ne déclenchent aucune alerte mentale. Elles se fondent dans la masse des dépenses récurrentes, au même niveau que la baguette ou le café du matin.
À ces niveaux-là, on ne remet pas tout en question. On ne se dit pas “je vais annuler mes abonnements tout de suite”. On laisse passer. On remet à plus tard. Et c’est précisément ce “plus tard” qui rend le modèle aussi rentable. Le montant est petit, mais il est régulier. Et surtout, il est invisible. C’est l’abonnement discret, celui que vous oubliez sans vraiment l’oublier.
Cette invisibilité comptable est le premier moteur du business. Car plus personne ne lit vraiment ses relevés bancaires ligne par ligne. Et tant que la dépense reste sous un certain seuil de douleur, elle ne sera pas challengée.
Évidemment, il y a toujours un lien “se désabonner”. Mais où ? Et surtout, dans combien de clics ? Beaucoup de services rendent la sortie volontairement désagréable. Ce n’est jamais dit comme ça, mais c’est bien l’intention.
On vous fait cliquer dans un sous-menu. Puis vous devez confirmer. Puis on vous demande pourquoi. Puis on vous propose une offre spéciale si vous restez. Parfois, on vous demande d’envoyer un e-mail ou de passer par un lien caché dans les CGU.
Et quand vous y arrivez enfin, il y a encore un délai. L’abonnement reste actif jusqu’à la fin du cycle. On ne vous rembourse pas. Mais on vous relance, au cas où vous changeriez d’avis. C’est une inertie maîtrisée. Une friction discrète. Le désabonnement est rendu fastidieux sans jamais être formellement bloqué. Et ça suffit à décourager des milliers de personnes chaque jour.
La plupart des gens ne gardent pas leurs abonnements parce qu’ils en ont besoin. Ils le gardent parce qu’ils espèrent s’en resservir. Un jour. Peut-être. Bientôt.
C’est le grand mensonge intérieur de l’abonnement zombie. Ce n’est pas un acte rationnel, c’est une promesse à soi-même. “Je vais me remettre au sport”, “je vais finir cette série”, “je vais réorganiser mes fichiers dans le drive pro”. Et tant que cette promesse existe, même floue, même improbable, l’abonnement continue.
C’est aussi un biais classique : on pense que si on annule maintenant, on perd un accès précieux. Même si on ne l’utilise pas. Même si on n’a rien consulté depuis six mois. On a peur de manquer une opportunité future. Cette peur, cette impression que ça peut encore servir, est l’une des mécaniques psychologiques les plus puissantes du modèle.
Pour les entreprises, les abonnements zombies sont le rêve. Des clients silencieux, qui ne sollicitent pas le support, qui ne coûtent rien, mais qui rapportent tous les mois. Ils ne consomment pas de bande passante. Ils n’ouvrent pas de tickets SAV. Ils ne génèrent pas de demandes complexes.
En termes de rentabilité, c’est presque parfait. Une base d’utilisateurs large, stable, pas forcément engagée, mais fidèle par défaut. Et surtout, extrêmement prédictible. C’est de la trésorerie garantie.
Dans le modèle des abonnements, un utilisateur inactif n’est pas un souci. C’est un client idéal. Il paie sans bruit. Il ne fait pas de vague. Et tant qu’il ne coupe pas le lien, tout le système tourne.
Le plus fort, c’est que ces entreprises n’ont même pas besoin de mentir. L’accès est bien là. Les conditions sont claires. Le service fonctionne. Techniquement, tout est correct. Mais dans les faits, elles capitalisent sur un phénomène humain : la flemme, l’oubli, et l’espoir flou.
La fidélisation zombie n’est pas une erreur. Ce n’est pas un bug du système. C’est un design. Une stratégie pensée, rodée, optimisée pour durer.
Vous pensez que l’entreprise vous a oublié, parce que vous n’avez pas cliqué depuis trois mois ? Elle vous connaît très bien. Elle sait que vous êtes là. Elle sait que vous ne partez pas. Et dans ce modèle-là, vous êtes le client parfait.
Ce n’est pas de la malveillance. C’est juste une réalité économique bien huilée. Et si vous cherchez votre prochain désabonnement inutile, il est peut-être déjà en train de vous coûter 7,99 €.