Aujourd'hui on reçoit Romain Troche, cofondateur et CTO de l'agence Spin Interactive. Chez Spin on crée des expériences sur-mesure sur le web, on permet aux marques de donner la meilleure des premières impressions mais aussi de créer des relations dans le temps avec ses utilisateurs.
Il y a une règle qui est inaliénable : quand on produit des choses, même sur le web, cela a un impact sur notre environnement. Alors quand on produit des dispositifs web pour ses clients, il est bon d'être conscient des conséquences possibles afin de pouvoir être force de conseil. Vous avez surement déjà entendu parler d'écoconception dans le web mais est-ce que vous vous êtes approprié le concept ?
Découvrez ce que Romain souhaite vous dire sur le sujet, vous verrez qu'au final c'est comme souvent : il s'agit d'être raisonnable.
Le premier impact du numérique, celui qui pèse le plus lourd sur ton bilan environnemental, c’est déjà le matériel. Car oui le numérique n’est pas immatériel, ce sont des ordinateurs, des smartphones, des millions de kilomètres de câbles de fibre optique, des centres informatiques, des chargeurs de téléphone. Je pense que c’est important de rappeler que, quand on parle de l’impact environnemental du numérique, on parle d’abord de matériel.
Pour information quand on analyse les critères d’analyse d’empreinte on va regarder en particulier la consommation d’eau et la contribution à l’épuisement des ressources abiotiques, c’est tous les minerais rares que tu as dans le matériel. Et donc pour contextualiser ce qu’on va se dire, au niveau du numérique, le matériel est la source de 85% de l’eau consommée et de 75% de l’épuisement des ressources abiotiques. Le plus gros impact, il est d’abord là.
Donc si on va au bout du sujet, si on veut réduire cette part au sein de son entreprise il faut augmenter le cycle de vie de chacun de ses appareils. Ne pas les remplacer systématiquement au moindre problème, rentrer dans des logiques de leasing et privilégier le reconditionné.
Maintenant que tout ça est posé on peut parler un peu plus de notre activité. Nous, on crée des sites internet, on fait de la com en ligne, alors comment s’améliorer sur ces aspects également ? Et bien finalement c’est un peu les mêmes logiques. Un client a souvent tendance à se lasser un peu facilement de son site, à le trouver lent, souvent parce qu’il n’a pas été conçu dans une logique très long terme. Alors on le refait, c'est ce qu'on appelle "l'obsolescence perçue".
Un site doit être conçu en étant focalisé sur l’essentiel et sur la performance. Il doit pouvoir accueillir des contenus et des fonctionnalités sur la durée en consommant le moins possible d’énergie sinon ça part en usine à gaz. C’est là qu’intervient l’écoconception, une méthodologie qui nous permet de minimiser l’empreinte environnementale de ce qu'on produit tout au long de sa chaîne de production du développement jusqu'à son exploitation.
Alors la bonne nouvelle c’est que les logiques sont maintenant bien connues, il suffit juste de bien les identifier et de les mettre en place tout au long de la chaine de production.
Comme dans toute méthodologie, il s’agit de se donner des objectifs mesurables et quantifiables, c’est ce qui va éviter par la suite tout greenwashing. Donc on choisit une méthode de mesure telle que l’EcoIndex de GreenIT et ensuite on détermine un référentiel. Aujourd’hui il y en a deux : les 115 bonnes pratiques de GreenIT ou le RGESN, le Référentiel Général d’Écoconception de Services Numériques, qui comporte 90 critères et qui est sorti sur le site du gouvernement.
Pour nous en tant qu’agence il y a tout un travail d’accompagnement à appliquer auprès de nos clients. Nous allons essayer d’impliquer l’ensemble des parties prenantes sur le sujet de l’écoconception, chez le client mais aussi chez nous. Dès le kickoff on peut diffuser une charte de bonnes pratiques d’écoconception afin d’éduquer et d’engager tout le monde sur la problématique.
On enchaine ensuite sur l’UX où l’enjeu sera clair : répondre à un maximum de problématiques utilisateur avec une minimum de fonctionnalités. Le chiffre historique qu’on entend souvent, qui est à prendre avec des pincettes car c’est assez difficile de trouver d’où il sort, c’est qu’il y a 70% des fonctionnalités demandées par un utilisateur qui ne sont pas essentielles. 45% ne sont d’ailleurs quasiment jamais utilisées, ce qui est énorme.
C’est d’ailleurs Jason Fried, le fondateur de 37 Signal, qui avait deux adages qui sont toujours très actuels : le premier c’est le fameux « less is more », qu’on a même transformé en « less is the new more » et qui en réalité est un principe de base. Le second, c’est que « tant qu’un utilisateur ne t’a pas demandé au moins une centaine de fois une fonctionnalité, ce n’est pas la peine de la développer », et c’est vrai car il y aura toujours quelqu’un pour dire « il faudrait ci » ou « ce serait top d’avoir ça », mais cette personne ne représente pas la réalité de centaines d’utilisateurs.
Donc la question à se poser c’est toujours la même, elle représente le principe de conception utilisateurs : « est-ce que cette fonctionnalité a lieu d’exister, est-ce qu’elle apporte une réelle valeur ajoutée ? ».
Le second levier, c’est d’implémenter la bonne architecture technique. Donc le choix des langages, des technologies, les choix qui rendront le site plus performant, moins gourmand en ressources et donc plus facilement utilisable par un grand nombre d’appareils.
L’optimisation des contenus intervient ensuite logiquement. Le fait que les contenus lourds comme les images ou vidéos soit allégés un maximum et qu’ils soient aussi rassemblés pour éviter de recharger 10 pages différentes pour chaque nouveau paragraphe. Alors oui ça fait plus de statistiques et plus de résultats publicitaires mais en soit, un Topito où tu dois cliquer 10 fois pour lire la totalité du contenu c’est terrible.
Dernier point et pas des moindres, en phase d’exploitation ça se passera au niveau de ton hébergement. Ici on revient à des notions de matériel et surtout à leur source d’énergie décarbonée. Après, sous le principe d’énergie décarbonée chacun fait ses choix sur ce qu’il y a derrière, il y a le décarboné nucléaire et le décarboné de la biomasse. Encore un autre sujet bien complexe et polémique, je recommande à ceux qui veulent en savoir plus de regarder l’excellent documentaire d’Hugo Clément sur le sujet.
Ça fait pas mal de choses mais ce qu’il faut retenir c’est que 80% de l’impact environnemental est façonné lors de la conception. L’objectif est donc que cela devienne un réflexe et que ce ne soit pas vu comme une option.
Alors en effet, on voit aujourd’hui un bon paquet d’entreprises se focaliser sur leur démarche RSE. Elles définissent des objectifs liés à la réduction de leur impact environnemental et il est donc logique de se demander comment mesurer tout ça pour éviter le greenwashing.
Juridiquement il y a un contexte intéressant. L’article 2 de la loi climat incite les entreprises à informer sur l’impact environnemental de leur produit. Il y en aura une autre en vigueur en 2025 et au niveau européen, c’est pour ça que tu vois dans tous les secteurs des éco-scores à tous les niveaux. Tout le monde lance son propre système de mesure et essaye de l’imposer sur le marché et d’en faire un standard.
Sur le digital on peut se fier à GreenIT qui travaille depuis longtemps sur le sujet et qui a créé l’EcoIndex. Ce dernier permet d’avoir une note de A à G, sur le modèle des produits alimentaires, et ça te donne un score sur 100. L’indice te donne également une équivalence en émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’en consommation d’eau. C’est un indice fiable est assez clair pour faire la synthèse des impacts environnementaux d’un site internet.
Au sein de l’AACC en partenariat avec GreenIT j’ai mené un groupe de travail destiné à créer le premier modèle de déclaration environnementale. Il permet de faire un état des lieux des efforts d’écoconception appliqués à un projet et d’indiquer le résultat de ces efforts. C’est du concret et cela permet vraiment d’éviter le greewashing car finalement c’est un modèle commun, lisible par tous les internautes, permettant de voir qui fournit des efforts et qui en fait moins.
Notre rôle en tant qu’agence, c’est de rappeler à nos clients que c’est une attente des consommateurs de plus en plus influente. La sensibilité à l’impact environnemental augmente réellement et si un client peut aujourd’hui acheter un produit plutôt qu’un autre au supermarché en fonction de l’éco-score, il peut tout autant préférer les services d’une entreprise en fonction de la note environnementale de son site. À service comparable, le critère environnemental peut être la clé de décision.
Donc finalement les enjeux business sont assez clairs puisqu’ils touchent à l’image et aux résultats d’une entreprise. Dernier point qui est purement terre-à-terre, appelez-le le bon sens normand ou auvergnat, c’est en fait de se dire que les contraintes réglementaires et les attentes des consommateurs vont potentiellement t’obliger à refaire ton site d’ici deux ou trois ans.
"Il n’est plus question de prendre de l’avance sur le sujet mais plutôt de ne pas prendre plus de retard."
Plus le temps de niaiser donc
Et ensuite si je dois terminer sur un point un peu plus large, je dirais que c’est génial d’intégrer les logiques d’écoconception dans la production des sites internet, mais en tant qu’agence nous arrivons en bout de file. C'est bien d'expliquer, de conseiller et de revoir nos méthodologies pour les projets des autres mais cela ne doit pas se faire sans questionner notre responsabilité sur les modes de consommation et notre impact sociétal. C'est tout l'enjeux de la communication responsable mais la on part sur un autre sujet (rires).
À la boucle (section conseil) on a créé un réseau d’agences partenaires, il y en a plus de 60 et le principe est simple : on rassemble celles et ceux qui sont comme nous des passionnés du digital. On a rencontré Romain un peu par hasard (merci Oscar 🙏) et ça a très vite matché. Quand on a découvert l'engagement fort de Romain sur le sujet de l'écoconception, on s'est dit qu'il fallait l'interviewer et on a bien fait. Le résultat est top, vous trouvez pas ?
Et oui car c’est aussi une de nos missions : mettre en avant les agences qui bossent fort. Restez à notre contact et vous en découvrirez vite plein d’autres.